Compte de fée

Texte inspiré par un exercice sur le fil « contraintes contrastes » du site Oniris.be

Lovée dans un majestueux fauteuil de brocart terni par les ans, Thalie contemplait la fin du jour sur l’océan. Sur l’horizon, l’astre solaire aux joues enfiévrées, s’abîmait dans les ondulations d’une mer pailletée d’or, tandis que dans sa lumière mourante, le ciel s’assombrissait insensiblement. Pensivement, elle ferma les yeux un instant, puis son regard s’abaissa sur le verre de cristal finement ciselé qu’elle tenait dans entre ses doigts délicats. Au fond du calice élégamment armorié, dansait un sombre hypocras aux teintes de grenat. Longuement, elle écouta le silence, comme la nuit envahissait le château désert. Puis elle porta la coupe à ses lèvres et but, s’arrêtant entre chaque gorgée, le vin où l’on ne sentait pour ainsi dire plus que les notes amères et brûlantes des épices.

Le breuvage n’était pas vraiment à son goût, mais elle n’en avait pas trouvé d’autre. Elle devrait donc s’en contenter.  Du bout du doigt, elle attrapa une gouttelette qui, perlant au pourtour du verre, avait tenté de s’échapper et glissait vers son menton. Un instant, elle regarda la goutte aux reflets cramoisis suspendue à la pointe de son index, comme un cruel rappel de la tragédie passée : une infime, insignifiante et minuscule perle de sang qui, à elle seule, avait pu sceller tant de destins ! Ah ! Maudite sois-tu, quenouille ! Et maudites aussi, les sorcières, leur vanité et leurs promesses trompeuses !  « Tu ne mourras pas, mon enfant ! avait annoncé la fée devant l’assemblée encore tremblante des invités assemblés pour le baptême. Mais tu dormiras, cent ans peut-être, le temps que prendra la malédiction pour s’éteindre ! »  Un rire silencieux agita pathétiquement les épaules de Thalie, lorsqu’en reposant le verre sur la petite table aux pieds tournés, rongés par les vers, son regard s’arrêta sur la minuscule fiole de verre sombre qu’elle avait dénichée au plus profond des placards de l’esculape palatin : esprit de digitale, pouvait-on encore déchiffrer sur l’étiquette ternie. Elle songeait alors, contemplant le verre que veloutait un léger dépôt, que le grenat était justement la pierre censée protéger des poisons et apporter la prospérité.

En s’éveillant ce matin dans le grand lit dont le ciel tombait presque en poussière, elle avait nourri un immense espoir, mais au fil de la journée, la belle au bois dormant avait compris que la fée s’était trompée et qu’après mille ans d’oubli, nul pour elle ne viendrait plus.

© Rozen Querre 2014

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