Texte rédigé pour la Roulette russe du forum des jeunes écrivains – 54ème défi
La berline noire aux vitres fumées s’arrêta sur le bas-côté de la route. Le passager avant sortit et fit le tour du véhicule en examinant les alentours d’un oeil circonspect, une main glissée sous la veste. Il hocha la tête en direction du chauffeur, qui coupa le moteur, descendit et ouvrit la portière arrière.
– Vous pouvez sortir, Monsieur le président.
Un petit vieillard en costume sombre s’en extirpa, tandis que de l’autre côté descendait un quadragénaire athlétique en complet griffé. Le petit homme regarda en soupirant le talus et la volée de marches envahie de ronces et d’orties qui descendait vers les ruines d’une ancienne caserne, puis se tourna vers le nouveau venu :
– Vous savez Enzo, plus ça va et plus je me demande si cette mascarade est indispensable.
– Nous ne pouvons pas nous permettre de passer par la grande porte, monsieur. Imaginez ce que dirait la presse, si jamais un journaliste apprenait…
– Je ne parlais pas forcément du chemin que vous me faites prendre, se résigna le petit homme.
– Allons-y, Monsieur. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Dumas, lança-t-il au garde du corps, vous nous attendrez ici ! Nous ne devrions pas en avoir pour plus d’une heure.
Le garde du corps haussa les sourcils et se tourna vers le vieil homme.
– Monsieur ?
– Ne vous inquiétez pas, Dumas. Tout ce que je risque ici, c’est de recevoir une grosse pierre sur la tête.
Dumas retint un sourire, tandis qu’Enzo dissimulait de plus en plus mal son agacement. Le président et son conseiller personnel entreprirent donc de se frayer un chemin dans l’escalier.
Appuyé contre la voiture, le chauffeur les regardait s’éloigner, goguenard. Son regard trahissait la joie mesquine qu’il éprouvait manifestement à observer le Conseiller Personnel, l’homme aux multiples majuscules, tremblant à l’idée d’amocher son costume hors de prix.
Dumas vint s’installer à ses côtés.
– Il se passe quoi, là ? J’ai entendu le bellâtre parler d’aller voir un oracle.
Le chauffeur éclata de rire.
– Un oracle ? Elle est bonne celle-là ! Ça se voit que t’es nouveau !Tu sais ce que c’est le bâtiment là-bas ?
Il pointait du doigt un vaste assemblage de structures en béton dont plusieurs avaient visiblement été victimes de la montée des eaux.
– Aucune idée.
– C’est… enfin, c’était l’aquarium municipal.
– Euh, d’accord. Et… ?
– Et alors ? Ça te dit vraiment rien ? L’aquarium, les bestioles…
Au grand désespoir du chauffeur, son compagnon haussa les épaules. Soudain, après une interminable réflexion, le visage de Dumas s’illumina :
– Non ! T’es pas sérieux là, si ? C’est quand même pas…
– À ton avis, qu’est-ce qu’ils iraient foutre là-bas toutes les semaines, en cachette en plus ?
Les deux hommes échangèrent un long regard.
– Et tu crois que c’est bien ? Je veux dire, pour nous, pour le pays ? demanda finalement Dumas.
– Quoi ? Que le président aille demander son avis à un poulpe pour prendre une décision ? J’y connais peut-être rien, mais je suis à peu près sûr que c’est pas bon signe.
© Rozen Querre 2014