Texte rédigé dans le cadre des défis de la Roulette russe du forum des jeunes écrivains – 57ème défi
– Alors, c’est l’histoire d’un marin pêcheur qui passe des mois en mer sur un thonier…
– Ah ouais, au moins c’est original comme cadre. Mais, t’es sûr de toi pour le poisson ?
– Hein ?
– Ben oui, le trip zoophile, je veux bien, mais avec des thons morts, tu vises quand même un marché de niche là.
– Euh…
– Non, non ! Attends ! Je crois qu’on tient un truc ! Au départ, je pensais à un genre de jeu de mots avec l’itinéraire d’un enfant gâté, mais là tu viens de me donner une idée. J’aime bien le côté marin, ça change. Voilà comment je vois l’histoire : ton marin, il est obligé de faire ceinture pendant six mois, alors forcément, pendant ce temps-là il fantasme à mort. On peut faire la moitié du film avec des scènes où il rêve le mec ! Et après, quand il arrive au port, il fonce au bordel et là…
– Euh, oui, mais moi en fait, je pensais à quelque chose de plus profond. Tu vois, une histoire à la Melville, où le voyage en mer, l’isolement et la pêche sont des métaphores de la quête de soi…
– Eh ? Mel qui ?
– Herman Melville ! Moby Dick…
– Moby Dick ? Connais pas. Il a joué dans quoi, celui-là ?
– C’est une baleine…
– Monté comme une baleine ? Non, je vois vraiment pas.
– Mais non, putain ! C’est juste une baleine, une grande baleine blanche.
– Mais merde ! C’est quoi cette fixation sur le poisson que tu nous fais aujourd’hui ?
– OK, laisse tomber ! Ce que je veux dire, c’est que, pour une fois, j’aimerais bien écrire un scénario sérieux, un truc sur lequel j’aurais eu envie de mettre mon nom. Un truc dont ma mère pourrait parler à ses amis.
– Hé ! Mais faut te faire soigner, mon pote ! Tu sais très bien que les mecs qui achètent nos scénars, ce qu’ils veulent, c’est du cul, du cul et encore du cul ! Et tu peux me croire, c’est pas la cervelle qu’ils ont envie de se pignoler. Alors tes délires méga-chiants d’intello, on s’en tape ! OK ?
– Mais…
– Y a pas de mais ! En ce moment, ce qui se vend, c’est le porno et toi, t’es doué pour écrire du porno, alors on va se faire de la thune avec le porno que t’écris. Point barre ! Le reste, tes états d’âme et tes envies d’art et d’essai à la con, je veux même pas savoir !
– …
– Et puis franchement, « L’itinéraire des projections privées », qu’est-ce que tu voudrais faire d’autre avec un titre pareil ?
© Rozen Querre 2014