Rosalie – Mais pourquoi ai-je glissé mes mains sous son matelas ?

Texte rédigé dans le cadre d’un concours de nouvelles sur le forum l’atelier d’écriture en réponse à la question : “Mais pourquoi ai-je glissé mes mains sous son matelas ?”

On s’est rencontrés un peu par hasard ; enfin j’aime à le croire. On s’est aimés, beaucoup ; enfin moi, je l’ai beaucoup aimée. Je dirais même que je la vénérais des pieds à la tête, de son esprit si éblouissant à son corps si parfait, jusqu’à son prénom, si exquisément inhabituel : Rosalie !

Longtemps j’ai cru que nous nous retrouvions chez moi parce que c’était plus facile, que mon appartement était plus grand ou moins loin. Je n’étais donc jamais allé chez elle, mais je m’en foutais parce que je l’aimais. Elle n’avait jamais non plus vraiment répondu à mes questions, toujours évasive, toujours dans l’élusion, mais là encore, parce que je l’aimais, j’avais gardé mes questions pour moi.

Puis, elle s’est mise à manquer certains de nos rendez-vous. Je la trouvais parfois distraite, lointaine, préoccupée, mais habitué à ses échappatoires j’avais là encore ravalé mes interrogations. Je me disais que, de deux choses l’une, soit ce qui la troublait était important et j’en aurais l’explication un jour ou l’autre, soit ce n’étaient que bagatelles et vétilles dont il n’y avait pas lieu de se soucier. Un jour quand même n’y tenant plus — elle m’avait encore oublié trois fois cette semaine-là et je commençais à me lasser un peu de sa distraction — je me présentai à l’adresse que j’avais, à force d’insistance, réussi à lui arracher.

Après un temps d’hésitation devant la façade décrépite, je m’engageai dans un couloir malodorant aux murs lépreux, prolongé d’un escalier aux marches irrégulières et grinçantes. Enfin, je fus devant sa porte dont la peinture marron s’écaillait et tous mes menus griefs s’effacèrent d’un coup à la perspective de revoir son visage. Je frappai délicatement, presque avec tendresse, sur le panneau. Pas de réponse. J’insistai encore, l’appelai d’abord doucement, puis plus fort. Toujours rien. Presque involontairement, je pesai sur la poignée et la porte s’ouvrit avec un petit couinement, me laissant entrevoir, enfin, l’univers intime de ma bien-aimée. Ma surprise fut de taille ! J’aurais difficilement pu imaginer un décor lui ressemblant aussi peu.

C’était, pour le moins que l’on puisse dire, spartiate : en fait d’appartement, il s’agissait d’une sorte de réduit vaguement triangulaire à peine éclairé par une minuscule lucarne en hauteur. Le papier peint déchiré laissait entrevoir des murs moisis et le lino gris sale était constellé d’accrocs et de brûlures de cigarette. Dans un coin, une bassine jaune passé posée sur une pile de parpaings à l’aplomb d’un robinet tenait lieu d’évier. Le mobilier se résumait à une table bancale, une chaise pliante en mauvais état, une grande cantine métallique et un matelas posé à même le sol. J’avais peine à imaginer mon adorée dans ce terrier et je comprenais soudain mieux sa réticence à me recevoir chez elle, mais je l’aimais bien assez pour ne pas m’en formaliser. Au contraire même, je n’en admirais que plus la pudeur qui l’empêchait de me révéler ses difficultés. Je ne pouvais pas la laisser continuer à loger dans ce galetas si indigne d’elle. J’allais donc attendre son retour et lui offrir de s’installer chez moi.

La chaise s’avérant vraiment inconfortable, je décidai de m’asseoir plutôt sur ce qui tenait lieu de lit, redoutant sans trop oser y penser de découvrir quelque habitant indésirable sous le sac de couchage. Comme je cherchais machinalement des yeux une éventuelle vermine, mon regard tomba sur un petit morceau de papier qui dépassait de sous le matelas. Sans doute n’aurais-je pas dû soulever la paillasse, hasarder une main dans l’intervalle et retirer ce sur quoi mes doigts s’étaient posés.

Soigneusement enliassées entre deux brochures publicitaires pour une clinique esthétique de banlieue, quelques factures aux montants indécents disaient que Rosalie était naguère encore Romaric.

© Rozen Querre 2014

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