Je me rends compte que cela fait bien longtemps que je n’ai rien publié ici, la faute sans doute au temps qui passe, au temps qu’il fait, au temps pour moi. Au hasard d’un rangement dans mes tiroirs numériques, j’ai exhumé ce petit exercice issu d’un défi sur les forums d’Oniris et dont voici une version un peu remaniée. Le thème était la préciosité.
Lovée dans un majestueux fauteuil de brocart terni par les ans, Thalie contemplait la lente agonie du jour sur l’océan. Sur l’horizon, l’astre solaire aux joues enfiévrées, s’abîmait dans les molles ondulations d’une mer pailletée d’or, tandis que le ciel s’assombrissait inexorablement en un ultime chatoiement de pourpre et d’indigo. Elle closit un instant ses yeux songeurs, puis abaissa un regard las sur le verre de cristal finement ciselé qu’étreignaient ses doigts délicats. Au fond du calice armorié, dansait un sombre hypocras aux nuances de grenat.
Longuement, elle écouta la marche silencieuse du crépuscule déversant inéluctablement sa torpide obscurité dans les couloirs et les chambres du château désert. Nul son ne vint troubler sa contemplation. Elle porta alors la coupe à ses lèvres et but, marquant entre chaque gorgée une longue pause, le philtre épais où ne se discernaient plus, pour ainsi dire, que les notes amères et brûlantes d’épices anciennes. Le breuvage n’était pas vraiment à son goût, mais elle n’en avait pas trouvé d’autre. Elle devrait donc s’en contenter.
Du bout du doigt, elle attrapa une gouttelette qui, perlant au pourtour du verre, avait tenté de s’échapper et glissait vers son menton. Un instant, elle examina, suspendue à la pointe de son index, la bulle incarnate, cruel rappel de la tragédie passée : une infime, insignifiante, minuscule perle vermeille qui, à elle seule, avait pu sceller tant de destins ! Ah ! Maudite sois-tu, quenouille ! Maudites aussi, les sorcières, leur vanité et leurs promesses trompeuses !
– Tu ne mourras pas, mon enfant ! avait annoncé la fée devant l’assemblée encore tremblante des invités assemblés pour le baptême. Mais tu dormiras, cent ans peut-être, le temps que prendra la malédiction pour s’éteindre !
On l’avait acclamée en un véritable triomphe.
Un rire silencieux agita pathétiquement les épaules désabusées de la jeune fille, lorsqu’en reposant le verre sur la petite desserte aux pieds tournés, rongés par les vers, son regard s’arrêta sur la minuscule fiole de verre bleu-noir qu’elle avait dénichée au plus profond des placards de l’esculape palatin : esprit de digitale, pouvait-on encore, au prix de quelque effort, déchiffrer sur l’étiquette ternie. Elle songeait alors que le grenat était justement la pierre censée protéger des poisons et apporter la prospérité. Mais si le vin en affectait la couleur, il n’en emprunterait pas les vertus.
En s’éveillant ce matin dans le grand lit dont le ciel tombait presque en poussière, elle avait nourri un immense espoir. Mais au fil de la journée, la belle au bois dormant avait compris que la fée s’était trompée et qu’après mille ans d’oubli, nul pour elle ne viendrait plus.
© Rozen Querre 2015