Glorantha : la Campagne des Taureaux Bleus, ou l’art de commencer petit – 5

Lorsqu’un jeu de rôles propose un univers riche et fouillé, au-delà d’un simple décor, une objection récurrente, c’est qu’y jouer demande beaucoup (trop) d’investissement. C’est particulièrement le cas pour Runequest avec le monde de Glorantha, né il y a plus de 40 ans de l’imagination de son auteur, Greg Stafford, et développé continuellement depuis. De là à se dire que pour se lancer, il faut avoir au moins un doctorat en gloranthologie, il n’y a qu’un pas. Au fil de cette série, j’ai l’ambition de montrer comment une meneuse de jeu peut se lancer dans une campagne gloranthienne en débutant à une échelle très modeste et en étoffant l’univers à mesure que son aisance s’accroît.

Réussir son évasion

Voilà donc les guerriers de Vivepierre qui croupissent dans un cachot en attendant un procès et une exécution suffisamment spectaculaires pour dissuader quiconque aurait envie de s’opposer à l’occupant ou à l’autorité du Duc Harvar, chef de la confédération des tribus Alda-Churi, dont les sympathies pro-lunars sont clairement affichées. En toute logique, nos braves héros devraient finir crucifiés au pied des remparts. À moins que…

Si la situation était évidemment peu enviable pour les personnages-joueurs, qui se trouvaient sans armes et derrière des barreaux au beau milieu d’une ville hostile, elle ne l’était pas nécessairement plus pour la meneuse de jeu. En effet, en véritable accro de la cohérence scénaristique, je ne pouvais pas laisser la tentative manquée de suppression du duo d’espions sans conséquence, mais cela m’obligeait dans un second temps à trouver un moyen élégant et crédible de les sortir de ce mauvais pas. La solution me vint du souvenir d’un vieil épisode de la série Arsène Lupin où Lupin se fait incarcérer volontairement et en profite pour tourner la police en ridicule. 

Alors qu’ils cherchent un moyen de s’échapper, nos héros sont rejoints par un compagnon de cellule. À demi-porté par les gardes et visiblement ivre-mort, l’homme lance des imprécations contre les lunars, leur déesse, le Duc et toute sa maisonnée, et ne s’interrompt que pour leur vomir sur les pieds. Au milieu de ses babillages, les prisonniers finissent par comprendre que leur agaçant codétenu détient la clé de la cellule, subtilisée à l’un des geôliers. Après les avoir longuement fait tourner en bourrique, exigeant qu’ils rient à ses blagues (pas drôles, ça va de soi) ou qu’ils démontrent leurs talents de danseurs, puis qu’ils le supplient de bien vouloir la leur donner, il finit par leur ouvrir la porte, permettant une évasion héroïque. Derveste Pied de Renard l’eurmali, préfère quant à lui rester en cellule pour le moment, car il a « des projets ». Libres, mais en territoire hostile, les héros ont la présence d’esprit d’aller demander l’aide du marchand issarien, qu’ils ont aidé naguère dans sa traque des espions. Ils parviennent ainsi à quitter la ville avant que l’alarme ne soit donnée aux portes. Les voilà donc libres, mais dans l’incapacité de regagner leur foyer. Ils choisissent donc d’aller se réfugier dans l’ancien refuge de Manas et ses déserteurs. Ce n’est pas idéal, mais c’est sur les terres du clan et ils pourront y être ravitaillés par les leurs.

En introduisant un adepte d’Eurmal, qui avait choisi ce moment précis pour se faire arrêter et jeter en prison, je poursuivais plusieurs buts. Tout d’abord, je donnais à mes personnages la possibilité de s’échapper sans que cela tienne trop du deus ex machina. Ensuite, avec les pitreries du fou, je dédramatisais la situation pour mon petit joueur qui avait été très fortement impressionné et ému par la séquence de la capture. Enfin, j’introduisais dans l’univers de jeu cet élément bien plus important qu’il n’y paraît de prime abord qu’est Eurmal, le dieu qui joue des tours, parfois bons et parfois mauvais, sème le désordre et peut retourner une situation d’un claquement de doigts. Eurmal en tant que le Fou, l’esprit farceur, qui aide ou qui trahit selon les cas et qui représente le hasard, est une figure mythique extrêmement importante de Glorantha. Cette fois, Eurmal les sauvait et sans doute devraient-ils payer un jour pour cela.

Et se faire de nouveaux amis

Les meilleures choses ayant une fin, nos vacances se terminaient et il nous fallait retrouver nos pénates. L’envie de continuer notre aventure était cependant toujours bien présente. Et pourquoi ne pas proposer à mon beau-frère, vieux compagnon de JdR lui aussi, de se joindre à nous. Il accepta avec plaisir, non seulement de se rasseoir autour d’une table en notre compagnie, mais aussi à l’idée de renouer avec Runequest. Nous nous accordâmes sur le dimanche après-midi, qui serait désormais le jour de notre partie hebdomadaire en famille. Il en résulta Énatar, initié de Yinkin, nobliau esrolien, citadin, dilettante et séducteur invétéré, flanqué de Poupou son chat de l’ombre, gros matou gourmand et paresseux, censé être un auxiliaire de chasse. Si, au départ, je n’avais pas véritablement envisagé que nos petites histoires se transformeraient en campagne, cela devenait évident pour moi et par là même se posait le problème de l’exil de mes héros : mes personnages devaient retrouver leur environnement familier.

Peu enchantés de leur statut de maquisards, nos héros croisent la route d’Énatar qui, devenu persona non grata à Alda-Chur, a choisi d’aller visiter les collines et transporte un curieux fardeau, en la personne du centurion Sérantès qu’il a repêché blessé et à demi-conscient dans la rivière. Ce dernier ayant reconnu être leur prisonnier explique à ses hôtes avoir été pris en embuscade avec ses hommes par des brigands alors qu’il cherchait justement la cause de la disparition de plusieurs de ses patrouilles, lui-même n’ayant eu la vie sauve que par accident, puisqu’une chute dans le torrent l’a éloigné du lieu de l’affrontement. Pour nos héros, que les chasseurs du clan ont informés de disparitions inexpliquées dans la région, la menace est patente. Après quelques palabres, ils concluent un pacte de non-agression avec Sérantès, qui en échange d’un peu d’aide est prêt à se laisser convaincre de ne pas relever l’évasion des vivepierrains. Après tout, ce n’est pas sous sa garde qu’ils se sont évadés. La traque les conduira à découvrir le réseau de cavernes qui abrite une bande de truands plus ou moins anthropophages, dont faute de réussir à le capturer, ils ne pourront que supposer que le chef est un ogre.

Pour le plus grand plaisir de mon joueur en herbe, ce scénario était largement orienté vers l’action. Il me permettait également de faire entrer en scène le Chaos, l’un des concepts phares de Glorantha, sous sa forme la plus insidieuse, celle de l’ogre, qui se cache parmi les humains pour les dévorer en secret. Bien sûr, en présentant la région où se situait l’action, j’avais évoqué le Creux de la Flûte-Serpent, nid de chaos dont des horreurs s’échappaient régulièrement, mais cela restait relativement théorique pour mes joueurs. À l’issue de cette chasse aux bandits et grâce à l’amnésie courtoise du centurion, nos héros rentreraient finalement dans leurs foyers, accompagnés de celui qui allait devenir un invité à demeure de la maisonnée de Méric. Quant à moi, je commençais à entrevoir la multitude de développements qui se profilaient à l’horizon.

RuneQuest, HeroQuest et Glorantha sont des marques déposées de Moon Design Publications et Chaosium, et de Studio Deadcrows pour la version française.

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