Glorantha : la Campagne des Taureaux Bleus, ou l’art de commencer petit – 6

Lorsqu’un jeu de rôles propose un univers riche et fouillé, au-delà d’un simple décor, une objection récurrente, c’est qu’y jouer demande beaucoup (trop) d’investissement. C’est particulièrement le cas pour Runequest avec le monde de Glorantha, né il y a plus de 40 ans de l’imagination de son auteur, Greg Stafford, et développé continuellement depuis. De là à se dire que pour se lancer, il faut avoir au moins un doctorat en gloranthologie, il n’y a qu’un pas. Au fil de cette série, j’ai l’ambition de montrer comment une meneuse de jeu peut se lancer dans une campagne gloranthienne en débutant à une échelle très modeste et en étoffant l’univers à mesure que son aisance s’accroît.

Une fête champêtre et des invités de marque

Nos braves rebelles malgré eux sont donc finalement de retour dans leurs foyers, prêts à reprendre une vie qu’ils espèrent paisible, au rythme des travaux des champs et de la vie du bétail. Certes, ils ont maintenant conscience de l’épée de Damoclès que fait planer l’occupant au-dessus de leurs têtes. Pour célébrer le retour à la vie normale et remonter un peu le moral éprouvé des villageois, Voris et Iggerne, la femme de Méric, représentant respectivement les cultes de Barntar et Ernalda insistent lourdement pour que la communauté ne se contente pas de la cérémonie religieuse et organise les festivités et le banquet traditionnels pour la fête de la bénédiction des charrues. Méric finit par se laisser convaincre. Au delà de la dimension religieuse de la fête, qui garantira des labours efficaces et une récolte abondante, c’est surtout la première occasion après l’hiver de manger, boire et danser ensemble et avec les gens du voisinage.

La fête reçoit d’ailleurs un hôte de marque en la personne de Deirnoc le Beau, le plus jeune des fils du chef de clan, flanqué de ses trois inséparables compères, Odernos, Toldrac et Mendir, guerriers de la maison du chef. Les quatre amis font honneur à la table et boivent abondamment. Malheureusement, lorsque vient le moment de danser, Deirnoc jette son dévolu sur Laélyn, la fille de Voris, une jolie ernaldane de 17 ans qui, de son côté veut simplement s’amuser un peu avec son amoureux, le jeune déserteur Eristol. Celui-ci se trouve immédiatement pris à partie par les jeunes gens aux esprits échauffés par l’alcool. Les injures telles que « sale chien de lunar » fusent et les frères Sarnosson aidés d’Enatar, interviennent pour apaiser les esprits. La soirée se termine sans nouvel esclandre et tout le monde peut aller se coucher, les quatre ivrognes se laissant raccompagner sans discuter à leur tente.

Après un épisode mouvementé et ponctué de combats, je voulais proposer une session plus calme, axée sur l’ambiance et destinée à ancrer un peu plus les personnages dans leur terroir et dans la vie de leur communauté. La majeure partie de mes descriptions était appuyée sur mes connaissances des traditions rurales bretonnes, au travers des contes et de mes propres souvenirs d’enfance : nous en avons d’ailleurs conclu que, dans notre Glorantha, les sartarites mangent du kig ha farz et dansent en farandole sur les airs joués par une paire de sonneurs. Le chef du Clan apparaissait en creux, au travers de la description de son benjamin : un enfant gâté, persuadé que sa noble naissance et son physique avantageux lui ouvraient toutes les portes, s’imaginant incarner le parfait orlanthi et, à ce titre, convaincu d’être un parangon de la lutte contre l’envahisseur, mais affichant finalement une xénophobie très convenue pour le plus grand plaisir de ses amis, nigauds et ivrognes bien plus que méchants.

J’étais très satisfaite de Deirnoc le Beau, dont ce n’était que la première apparition et qui s’avéra un PNJ très intéressant à placer en travers du chemin de mes protagonistes. Il concentrait à lui seul un certain nombre de stéréotypes destinés à le rendre parfaitement imbuvable, voire dangereux, mais demeurait plus ou moins intouchable du fait de son statut de membre du Clan. Mes joueurs rencontraient donc un type détestable, dont la rancune allait sans aucun doute les poursuivre, dont l’ambition en ferait peut-être un jour le nouveau chef de clan et contre lequel ils ne pouvaient finalement pas grand chose. Chez les orlanthis, on ne porte pas les armes contre un membre de son clan, fût-il parfaitement odieux.

Le cri de Laélyn au beau milieu de la nuit réveille tout le monde. Une fois rassérénée, la jeune fille, en chemise et les pieds nus, raconte qu’elle venait de se mettre au lit, lorsque son père et elle ont entendu des cris venant de la grange, qui est aussi l’endroit où loge Eristol. Voris s’y est précipité en ordonnant à sa fille d’aller chercher de l’aide. Arrivés sur place, les guerriers ne trouvent personne, mais constatent un départ de feu. Ayant donné l’alerte, ils laissent les villageois s’occuper de l’incendie pour suivre les traces qui mènent entre les champs sur la colline voisine. Ils finissent par trouver au petit jour les quatre fêtards au pied d’un pommier, bien décidés à lyncher le malheureux Eristol, sous les yeux de Voris immobilisé. Deirnoc, explique pompeusement au jeune valet de ferme terrifié, soutenu plus que retenu par deux des sbires, qu’il est de son devoir de lutter contre l’oppression lunar où qu’elle se trouve, que les lunars vont devoir apprendre à rester à leur place, que les femmes sartarites sont pour les sartarites… Odernos, qui maîtrise Voris, commençant sans doute à dessaouler essaie de dire que le jeu va un peu trop loin, mais Deirnoc n’écoute pas. Alors que Manas fou de colère brandit sa lance et charge des hommes du clan pour tenter de sauver son ami, Korlac parvient à s’interposer et se découvre l’autorité suffisante pour éviter un bain de sang. Les quatre trouble-fêtes sont désarmés ramenés au village les mains liées et seront reconduits sous bonne escorte à Chateau-Ciel où Méric et Voris feront part de tout leur mécontentement au chef de clan.

À mes yeux, cette fin très en demi-teinte, qui contraste avec le ton très léger de la plus grande partie du récit, contribue à peindre un portrait plus nuancé du microcosme des personnages. Glorantha n’est en rien manichéiste et le clan du Taureau Bleu non plus : il est composé d’individus qui ont une personnalité propre et poursuivent leurs propres buts dans l’existence. Le Clan est certes plutôt ouvert sur l’extérieur, axé sur le commerce et la diplomatie et plutôt accueillant envers les étrangers, mais ses membres sont des humains avec leurs qualités et leurs défauts. Certains sont généreux ou ouverts d’esprit, tandis que d’autres sont pingres ou xénophobes, d’autres encore répliqueront que « c’est ben beau toutes vos histoires, mais y a encore l’champ du haut à labourer ! »

RuneQuest, HeroQuest et Glorantha sont des marques déposées de Moon Design Publications et Chaosium, et de Studio Deadcrows pour la version française.

Ce contenu a été publié dans Fleurs de papier. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *