Lorsqu’un jeu de rôles propose un univers riche et fouillé, au-delà d’un simple décor, une objection récurrente, c’est qu’y jouer demande beaucoup (trop) d’investissement. C’est particulièrement le cas pour Runequest avec le monde de Glorantha, né il y a plus de 40 ans de l’imagination de son auteur, Greg Stafford, et développé continuellement depuis. De là à se dire que pour se lancer, il faut avoir au moins un doctorat en gloranthologie, il n’y a qu’un pas. Au fil de cette série, j’ai l’ambition de montrer comment une meneuse de jeu peut se lancer dans une campagne gloranthienne en débutant à une échelle très modeste et en étoffant l’univers à mesure que son aisance s’accroît.
Retour au calme de la vie rurale
La fête des moissons
Après avoir délivré leurs compatriotes et mis à la porte les pique-assiette, les héros ont pu profiter de quelques jours de repos bien mérité. Érina, dont la mission est d’aller prêcher la rébellion parmi les clans orlanthis du Lieu Lointain en vue d’une prochaine action militaire contre l’Empire, a du repartir assez vite. Ceux qui restent vont quant à eux devoir prêter la main aux travaux des moissons, qui exigent tous les bras disponibles, au grand désespoir d’Enatar qui n’a guère de goût pour les rudes et répétitifs travaux agricoles et déploie des efforts méritoires pour tirer au flanc sans trop se faire remarquer. Manas, mal à l’aise et préoccupé depuis leur départ de la capitale, paraît beaucoup plus détendu après une longue discussion privée avec Méric et se montre visiblement ravi de s’abrutir au travail dans les champs. La moisson terminée, resteront les battages et le stockage de la récolte dans les silos, mais le plus pénible étant achevé avant les orages, on s’autorise une journée de distractions. Des tables sont dressées sur l’aire de battage pour un banquet, et la journée s’achèvera par des danses et des jeux. On va bien sûr disputer quelques manches de triquet, où les jeunes hommes célibataires vont pouvoir briller aux yeux de compagnes, voire d’épouses potentielles, en se montrant aussi vifs, agiles et courageux qu’Orlanth. A la surprise de ses amis, Manas se prend de passion pour le triquet, ou plutôt pour l’équipe vivepierraine, dont la médiocrité l’inspire au point qu’il se mette en tête de les faire gagner et retrouve pour l’occasion ses réflexes de sous-officier. Korlac de son côté consolide sa relation avec Ivarna et les deux jeunes gens commencent à envisager le mariage.
Après une aventure marquée par un affrontement important, j’aspirais à une histoire plus calme. Je voulais également prendre le temps d’installer le contexte des épisodes suivants, car une fois n’est pas coutume, j’avais d’ores et déjà une idée assez claire de ce que je voulais amener ensuite. Je profitai donc de ce moment paisible et axé sur le roleplay pour développer un peu plus le personnage de Manas, perfectionniste, exigeant avec lui-même comme avec les autres et toujours prêt à se sentir coupable, tout en saupoudrant quelques indices sur l’histoire qui se déroulait hors champ.
Le triquet sartarite est un jeu de mon invention, largement inspiré de la lapta russe, où il est question de courir après une balle et de bousculer les membres de l’équipe adverse. Un programme qui sonnait assez orlanthi à mes yeux et qui pouvait tout à fait être un particularisme du Lieu Lointain, réunissant les indigènes, qu’ils soient d’origine tarshite ou sartarite. Je voulais également bien marquer le caractère de défoulement paysan de l’activité, tout en proposant un moment d’action sans combat à mes joueurs.
Deux visites inattendues
Le village des héros reçoit des visiteurs de passage, manifestement des aventuriers, qui demandent l’aide des guérisseuses locales pour l’un des leurs, malade après un affrontement avec des broos. Le lendemain matin, les étrangers ont filé à l’anglaise, laissant le malade derrière eux. Le malheureux pourra être sauvé, mais en restera très diminué. En attendant de pouvoir le rendre à son clan, la vie reprend son cours : le battage de la récolte doit être fait sans tarder. Dans le même temps, plusieurs personnes des environs affirment avoir vu un dragon. Le monstre aurait d’ailleurs mangé une vache. Les faits sont avérés lorsqu’un couple de créatures draconiques fond sur le village. Tandis que l’une emporte une des femmes qui vannent sur l’aire, l’autre s’adresse à la foule stupéfaite : on comprend difficilement (une langue fourchue et une gueule pleine de dents ne contribuent pas à une bonne élocution) qu’il est question de rendre l’enfant. La victime n’est autre que Laélyn, la fille de Voris, enceinte des œuvres d’Eristol et dont la grossesse commence à être bien visible. Les héros sont les premiers à réagir et prennent les choses en main pour éviter que la situation ne s’envenime, empêchant une foule en colère de se lancer dans une expédition punitive. Remarquant que les créatures se sont installées au sommet d’une éminence rocheuse voisine, ils vont à leur rencontre pour essayer de communiquer avec elles. Ils constatent que la jeune femme est terrifiée, mais indemne et comprennent que les pensionnaires indélicats du village ont volé l’œuf du couple de wyrms. Ceux-ci, pour qui tous les humains se valent, veulent échanger leur progéniture contre celle des humains. Aidés du mâle, ils partent alors à la poursuite des fuyards. Rattrapés et sous la menace d’un wyrm en colère, ces derniers consentent à restituer l’œuf. Satisfaits, les wyrms rendent l’otage à sa famille et Korlac, qui a mené une grande partie des négociations, gagne le surnom de Parle-aux-Wyrms.
Le combat n’étant pas pour moi une fin en soi dans l’écriture de scénario, je voulais proposer à mes joueurs une situation à laquelle l’affrontement n’était pas une solution raisonnable. Au détour des pages du Bestiaire, la très belle illustration du wyrm me donna envie de mettre en scène cette créature. Par ailleurs, la Cour d’Obéron venait de lancer son 49ème concours de scénarios, dont le thème « le chasseur et sa proie » et l’élément « sang neuf » m’inspirèrent. Cette aventure serait donc ma proposition pour le concours. Mon histoire se développerait autour de ces bêtes apparentées aux dragons, intelligentes et centrées autour de leur groupe familial. Sachant d’emblée qu’une confrontation armée était très peu probable (c’est l’avantage lorsqu’on connaît bien ses joueurs), j’eus assez vite l’idée de commencer par une situation, qui placerait d’abord les personnages dans le rôle de témoins de différents événements sans relation apparente entre eux, puis leur donnerait l’occasion de se poser en médiateurs pour éviter autant que possible une escalade qui aurait conduit à un drame. Grâce à l’élément « sang neuf » imposé pour le concours, je mettais en lumière l’importance vitale des enfants pour la communauté. En dressant un parallèle entre les humains et les wyrms, j’abordais aussi une notion importante de Glorantha : à la différence de beaucoup d’univers de jeu de rôles, la plupart des créatures sont intelligentes et ont une culture qui leur est propre. C’était également la première confrontation des personnages avec le monde draconique, particulièrement exotique et très important dans la cosmogonie gloranthienne.
Le scénario tel que présenté au concours : The season of the wyrm
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