Lorsqu’un jeu de rôles propose un univers riche et fouillé, au-delà d’un simple décor, une objection récurrente, c’est qu’y jouer demande beaucoup (trop) d’investissement. C’est particulièrement le cas pour Runequest avec le monde de Glorantha, né il y a plus de 40 ans de l’imagination de son auteur, Greg Stafford, et développé continuellement depuis. De là à se dire que pour se lancer, il faut avoir au moins un doctorat en gloranthologie, il n’y a qu’un pas. Au fil de cette série, j’ai l’ambition de montrer comment une meneuse de jeu peut se lancer dans une campagne gloranthienne en débutant à une échelle très modeste et en étoffant l’univers à mesure que son aisance s’accroît.
La belle et le chasseur
Service funèbre
Après avoir secouru Laélyn et fait connaissance avec le couple de wyrms, qui a décidé de rester à proximité le temps de voir éclore leur œuf, les héros profitent d’un repos bien mérité en cette fin de saison de la Terre. Enatar, séducteur invétéré à l’image de son dieu, trouve une place de choix dans la cuisine et dans le lit de Yanir, laquelle se montre assez fière de s’afficher avec un amant deux fois plus jeune qu’elle. Korlac, bien que conscient qu’il n’a pas à se mêler des affaires de sa mère, est tout de même un peu troublé de croiser son meilleur ami au petit déjeuner. La quiétude des vivepierrains en ce début de saison des Ténèbres est brutalement interrompue par l’arrivée d’un petit groupe de cavaliers, qui s’arrête devant la maison de Méric. Les héros reconnaissent Odernos, ainsi qu’une poignée d’hommes de clans voisins, qu’ils ont vu quelques semaines plus tôt aux côtés d’Érina, partant pour mener le coup de poing contre les lunars quelque part au sud. Ils sont accompagnés d’Arstar Arstarsson, avec qui ils avaient sympathisé chez Ivarna lors de leur séjour à Boldhome. Les visages sont graves et Odernos est au bord des larmes lorsqu’Arstar demande à voir Méric. « Les nouvelles que j’apporte sont mauvaises, » déclare-t-il après s’être présenté. Il est venu annoncer à la famille d’Érina que la jeune femme est tombée au combat au pied de la Citadelle Blanche. Il relate un fiasco militaire où la vingane s’est illustrée par sa bravoure en reprenant un commandement défaillant pour essayer de transformer une débâcle en retraite ordonnée et sauver ainsi de nombreuses vies. Ses compagnons l’ont vue pour la dernière fois sur un cheval pris à un officier lunar en train de hurler des ordres aux hommes en déroute. Les lunars les ayant ensuite empêchés de récupérer leurs morts, Arstar demande pardon à Méric pour n’avoir pas pu ramener sur les terres de son clan les cendres de son capitaine. S’en suit une cérémonie poignante où les hommes honorent la mémoire de la guerrière en faisant l’éloge de ses vertus et en priant Orlanth de l’accueillir dans sa demeure. Le service funèbre terminé, les héros apprennent que Manas, qui s’est discrètement retiré de la cérémonie, s’est exclamé « je refuse cette vérité ! », a sauté sur un cheval et est parti au grand galop. Ivarna se désole de l’avoir laissé seul dans un moment pareil et révèle le secret du jeune homme. Ses compagnons le pistent jusqu’au temple du Dome-Soleil d’Alda Chur dont il sort, le regard halluciné en déclarant qu’il a prié Yelmalio de lui révéler le destin d’Érina, qu’il l’a vue vivante et va la chercher. Korlac et Énatar ne vont évidemment pas le laisser partir seul.
À la découverte du vaste monde
Méric, échaudé par les événements récents, se montre d’abord réticent à laisser ses meilleurs guerriers quitter le village. Sachant que Manas serait parti de toute façon, il se laisse finalement convaincre par Korlac, à qui Orlanth a corroboré la vision de Manas, et par la promesse d’Odernos et Arstar de les remplacer à Vivepierre le temps de leur absence. S’en suit un long périple qui emmène les trois compagnons au sud, jusqu’à la Citadelle Blanche, où ils comprennent en voyant au loin la cité assiégée que sa chute n’est probablement qu’une question de temps. En arrière des lignes, dans le village de fortune où fleurissent tripots, bordels et prêteurs sur gages et où les soldats se détendent, ils apprennent que leur amie a été retrouvée, coincée sous le cadavre de son cheval, par les maraudeurs qui nettoient les champs de bataille derrière l’armée. Elle a depuis été vendue successivement à plusieurs marchands d’esclaves. Avec l’aide de l’un des futurs beaux-frères de Korlac, initié d’Issaries, ils découvrent que la jeune femme a fait partie d’un lot expédié à un négociant de Pavis. Les voilà en route pour la seule cité de Prax, où il s’avère qu’elle a été cédée à un noble lunar envoyé en mission dans le territoire le plus éloigné de la capitale impériale. Chargé d’approcher certains nomades praxiens, afin de convaincre quelques clans de l’intérêt de coopérer avec l’Empire, il a eu l’idée d’aborder les chefs en leur offrant notamment des femmes. Érina a donc été offerte à un monteur de rhinocéros, Gorek, fils de Marek, chef du petit clan du Nuage de Poussière. Après quelques palabres, les héros apprennent que Gorek a donné la femme aux cheveux rouges au chef d’un clan de monteurs de bisons, qui la lui a demandée, Nershar fils de Nershak du Tonnerre qui Marche. Nershar et son clan sont partis pour les pâtures de la Désolation. Naturellement, la poursuite ne peut pas se conclure aussi simplement. Lorsque les héros rattrapent enfin le clan de monteurs de bisons qu’ils cherchent, c’est pour découvrir que le campement a été attaqué par des pillards gagarthis qui ont emmené les femmes et les bêtes. Ils s’associent aux guerriers du clan pour une expédition punitive contre les pillards. Le camp des brigands leur oppose une faible résistance, car la plupart des hommes se sont lancés à la poursuite du « démon rouge », la femme qui a déstabilisé le clan en causant la mort de deux khans. Un prisonnier leur raconte qu’après s’être battue comme un fauve, la guerrière rousse s’est rendue au chef seul, puis a manipulé son lieutenant pour le pousser à affronter et tuer son chef en combat singulier. Profitant du sommeil de son nouveau seigneur et maître, elle l’a exécuté, a lancé sa tête au beau milieu du camp et s’est enfuie en entraînant avec elle les montures de ses ravisseurs. Ils rattrapent ce qui reste des bandits, un peu désemparés, dans un canyon où la jeune femme s’est retranchée dans une anfractuosité de la falaise, bien décidée à tuer quiconque viendrait la déloger.
Érina enfin secourue, ils font leurs adieux à Nershar et aux monteurs de bisons et prennent le chemin du retour, au cours duquel Korlac surprendra Érina et Manas tendrement enlacés, pour le plus grand embarras du yelmalion. Soulagés de voir leur secret démasqué, les deux amoureux n’hésiteront plus à afficher les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Profondément marquée par ses mésaventures et consciente de la douleur qu’elle a causée à ceux qu’elle aime, Érina décide de rester au moins pour quelques saisons à Vivepierre, pour le plus grand plaisir de ses parents, qui espèrent qu’elle est définitivement de retour à la maison.
Mon petit joueur passant ses vacances de Noël avec ses grands parents, je pouvais librement m’engager dans un épisode beaucoup plus adulte dans ses thématiques, sans crainte de choquer une âme sensible. Puisque nous profitions de quelques jours de congé, j’avais également beaucoup plus de temps pour développer un scénario sur un rythme plus lent. Ce scénario avait été ma première intention pour le 49ème concours de la Cour d’Obéron, mais à l’écriture, il s’était avéré difficile à adapter au format d’un concours, car le genre « road trip » ne me paraissait pas bien convenir à cette forme d’écriture. Mon inspiration principale fut le mythe d’Orlanth et Aroka, où le dieu affronte différents ennemis, dont son violent et cruel neveu Gagarth, qu’il parvient à enfermer dans un sac. J’imaginai donc une variante du mythe, où c’est Vinga qui défait son brutal cousin grâce à la ruse. Étant donné la personnalité de la disparue, il me paraissait évident que la princesse captive n’allait certainement pas attendre un prince charmant et se délivrerait toute seule. Je bâtis l’ensemble du scénario comme une course où les personnages avaient à chaque étape l’impression de toucher au but, mais arrivaient systématiquement trop tard, ce qui contribuait à construire une tension croissante jusqu’au dénouement.
L’hommage funèbre devait pour moi être un moment poignant, rappelant brutalement aux personnages que la rébellion à grande échelle et la guerre ouverte contre les lunars devenait peu à peu inévitable. Pour souligner la dimension tragique de la scène, je choisis de renforcer ma description en y ajoutant de la musique : la reprise de Wayfaring Stranger par Colm McGuinness, dont la voix me paraissait parfaitement cadrer avec l’ambiance que je voulais donner à la scène. Si j’utilise souvent la musique dans mon écriture, je l’inclus beaucoup plus rarement dans les parties que je mène. Cette fois, l’illustration sonore apportait à mon sens une vraie plus-value.
Pour la rencontre et les discussions avec les nomades praxiens, je voulais créer une véritable sensation d’exotisme pour les personnages-joueurs. À la recherche d’une proposition réaliste pour présenter la culture praxienne, je me suis très largement inspirée de la culture et des coutumes des Kel Tamajeq, dont le mode de vie pastoral dans le Sahara me paraissaient pouvoir s’appliquer aux monteurs d’animaux praxiens.
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