Glorantha : la Campagne des Taureaux Bleus, ou l’art de commencer petit – 2

Lorsqu’un jeu de rôles propose un univers riche et fouillé, au-delà d’un simple décor, une objection récurrente, c’est qu’y jouer demande beaucoup (trop) d’investissement. C’est particulièrement le cas pour Runequest avec le monde de Glorantha, né il y a plus de 40 ans de l’imagination de son auteur, Greg Stafford, et développé continuellement depuis. De là à se dire que pour se lancer, il faut avoir au moins un doctorat en gloranthologie, il n’y a qu’un pas. Au fil de cette série, j’ai l’ambition de montrer comment une meneuse de jeu peut se lancer dans une campagne gloranthienne en débutant à une échelle très modeste et en étoffant l’univers à mesure que son aisance s’accroît.

Faire connaissance.

Les frères Sarnosson avaient donc pris corps et leur petit monde n’allait pas tarder à s’animer autour d’eux. La difficulté à laquelle je redoutais le plus de me confronter était la présentation de l’univers à un enfant : je devais lui donner les clés pour comprendre le monde tout en ne l’étouffant pas sous des monceaux de détails superflus. En guise d’introduction, mon jeune joueur découvrit donc, comme son personnage, les points les plus importants de la mythologie gloranthienne, telle que racontée aux enfants par les aînés à la veillée. Il fit ainsi connaissance avec la magie des runes, ainsi qu’avec Orlanth, Ernalda, Humakt et les autres dieux importants dont les noms accompagneraient le jeune Gillos et son grand frère Korlac tout au long de leurs aventures. Un autre jour, dans le cadre d’une séance en tête à tête, nous revisiterions les principales étapes de la vie d’Orlanth, en jouant de manière très narrative l’initiation de Gillos au culte d’Orlanth.

Vint ensuite l’exposition de la situation politique de la région. Vus au travers des yeux des personnages, les principaux éléments du contexte étaient assez simples à mettre en place : l’invasion par les légions de l’Empire au nom de sa déesse, la Lune Rouge, l’engagement de leur père et de ses frères dans la guerre, la défaite et l’occupation de leur pays depuis plus de 15 ans, leur vie, partagée entre la ferme familiale aux côtés de leurs oncles et les rêves de résistance et de lutte contre l’occupant. Les personnalités des deux oncles, vétérans de la guerre, mentor sage et responsable pour l’un, ivrogne et immature pour l’autre, se dessinaient naturellement à l’arrière-plan. Le décor était planté, restait à le peupler de passionnantes péripéties.

Première aventure !

Voris, le prêtre de Barntar, dieu des laboureurs, et Méric, le thane de Vivepierre sont embarrassés, car du bétail a disparu à la faveur de la nuit : deux brebis et leurs agneaux au pré et deux poules dans le poulailler même de Voris, dans le village même. On déplore également la disparition d’une vache dans un village voisin, et plusieurs femmes affirment que des victuailles ont disparu des réserves. Le concept de voleurs n’est pas familier aux orlanthis ruraux et un vol de bétail ne saurait être traité à la légère. Le vieux thane confie aux frères Sarnosson la mission de patrouiller dans les environs à la recherche d’indices. 

C’était le moment pour mes joueurs et moi de se (re)familiariser avec les mécaniques du jeu.

L’enquête conduit les deux jeunes guerriers sur les traces des voleurs, jusqu’à une ancienne ferme isolée, abandonnée depuis plusieurs générations pour de meilleures terres et désormais entourée par la forêt. Ils découvrent assez vite que l’endroit est occupé par des inconnus vêtus comme des soldats lunars, mais crasseux et décharnés. Intrigués, ils tentent d’établir le contact en dépit de la barrière des langues et de la méfiance des étrangers. Ils finiront par établir qu’ils ont affaire à une poignée de déserteurs affamés et globalement inoffensifs. Les prenant en pitié et, après avoir obtenu que les voleurs restituent les bêtes volées (à l’exception des moutons qu’ils avaient mangés), les deux guerriers négocieront leur accueil dans le clan, au moins jusqu’à ce qu’ils aient réparé par leur travail le préjudice. Vivepierre en accueillera deux, celui qui a pris soin des bêtes volées, et le chef de la bande, un décurion, adepte du dieu solaire Yelmalio et visiblement incompétent comme valet de ferme.

Cet épisode permettait de mettre en lumière un concept majeur de la culture orlanthie, la réparation du dommage causé, ainsi qu’une des idées maîtresses de ma vision du monde en tant que meneuse, à savoir la nuance et les limites d’une approche strictement manichéiste. L’introduction de deux nouveaux PNJ, déserteurs de l’armée lunar, ouvrait de nouvelles pistes narratives. Le choix d’un guerrier yelmalion répondait quant à lui à plusieurs préoccupations : d’une part, en leur adjoignant un combattant formé et soucieux de payer une dette d’honneur, j’apportais à mes deux aventuriers un renfort non-négligeable en cas de combat et d’autre part je me ménageais une source de tension en introduisant un personnage appartenant à une culture très différente et sans complaisance vis à vis des orlanthis. Les personnages d’Eristol et de Manas entraient dans le champ. Le choix de faire de Manas un yelmalion m’obligeait d’emblée à lui créer une histoire personnelle complexe permettant d’expliquer la succession d’événements ayant abouti à la situation dans laquelle les personnages-joueurs l’avaient rencontré. J’aurais certes pu choisir un sous-officier ordinaire, initié de l’un des cultes lunars habituels, mais si je voulais créer un peu de tension, ce choix en aurait, à mon avis, créé un peu trop.

Déjà après ce premier scénario, la mentalité du clan du Taureau Bleu commençait à prendre forme : surtout intéressé par l’agriculture, rebelle du bout des lèvres et plus enclin à la résistance passive qu’à la révolte ouverte.

 

RuneQuest, HeroQuest et Glorantha sont des marques déposées de Moon Design Publications et Chaosium, et de Studio Deadcrows pour la version française.

 

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