Glorantha : la Campagne des Taureaux Bleus, ou l’art de commencer petit – 4

Lorsqu’un jeu de rôles propose un univers riche et fouillé, au-delà d’un simple décor, une objection récurrente, c’est qu’y jouer demande beaucoup (trop) d’investissement. C’est particulièrement le cas pour Runequest avec le monde de Glorantha, né il y a plus de 40 ans de l’imagination de son auteur, Greg Stafford, et développé continuellement depuis. De là à se dire que pour se lancer, il faut avoir au moins un doctorat en gloranthologie, il n’y a qu’un pas. Au fil de cette série, j’ai l’ambition de montrer comment une meneuse de jeu peut se lancer dans une campagne gloranthienne en débutant à une échelle très modeste et en étoffant l’univers à mesure que son aisance s’accroît.

Digression : les intrigues d’arrière-plan et les inspirations pour créer des personnages

De petites histoires…

Une grande partie de mon expérience en tant que meneuse de jeu a été la maîtrise en improvisation, que j’ai pratiquée pendant plusieurs années. Il m’en est resté un grand plaisir d’écrire pour un groupe de personnages dont je connais les caractères et les motivations. Dans ce type de démarche d’écriture, la mise en place de sous-intrigues, parfois très discrètement et en arrière-plan de l’intrigue principale du scénario, poursuit principalement deux buts. Le premier, bien sûr, c’est de semer les graines de futurs scénarios. Quand, dans une matinée très calme au village, Eristol, le déserteur reconverti en valet de ferme, est passé précipitamment devant les personnages-joueurs pour filer se cacher derrière le bâtiment le plus proche, poursuivi par les beuglements de Voris qui venait de le surprendre en plein bécotage avec sa fille, je n’avais pas encore d’idée bien arrêtée sur la suite des événements. Outre un peu de couleur et d’épaisseur aux personnages non-joueurs,  l’incident donnait aux joueurs l’occasion d’interagir en dehors de l’intrigue principale avec les personnages de leur environnement. Il m’ouvrait aussi des pistes pour imaginer de nouvelles histoires.

Pour lancer cette campagne en particulier, je n’avais aucune idée préconçue, pas de plan d’ensemble et, pour être parfaitement honnête, je n’avais même pas conscience que mon timide retour au jeu de rôles en tant que meneuse allait déboucher sur une campagne au long cours. La principale conséquence est que je construit mon histoire au fur et à mesure, en me reposant sur deux points d’appui : certains événements clés de la chronologie et éléments de contexte du canon gloranthien défini par Chaosium et les menues intrigues qui fleurissent naturellement autour des personnages. Si, eu égard à la période de l’histoire où j’avais situé mon aventure, je m’étais assez vite fixée pour objectif d’amener mes personnages jusqu’au Long Hiver, la route vers cet événement historique majeur est passée par nombre de ces menues intrigues, dont certaines avaient été semées au fil des épisodes et s’étaient développées à bas bruit. De nombreuses petites histoires se forment doucement hors champ, pour éclater parfois à la surface. D’insignifiantes à l’origine, certaines sont devenues de véritables arcs narratifs au fil des scénarios.

… et leurs habitants

L’un de mes grands plaisirs en tant que meneuse réside dans la création de personnages non-joueurs intéressants. Dans le cadre d’une campagne telle que celle que je construis, qui est fortement ancrée dans un environnement familier aux personnages, il me semble que les PNJ récurrents doivent être marquants, sans tomber dans le pur stéréotype. Pour concevoir le tempérament, le caractère et prévoir les réactions des PNJ, une grande part de mon inspiration vient de ma vie professionnelle ou personnelle, qui m’offre une large palette de caractères, petites manies et gros défauts (ou qualités) à mettre en scène. Le chef de clan, Guernoc Forte Voix, un dirigeant assez mou, peu charismatique et surtout soucieux de préserver la chèvre et le chou, fait la synthèse de différents individus croisés dans ma carrière. De même, un triste sire assez méprisable qu’ils rencontreront quelques épisodes plus tard, dont la personnalité est un mélange entre le père d’une camarade de collège et deux hommes, conjoints de personnes proches, archétypes du compagnon toxique : fonctionnaire impérial médiocre, pingre, rancunier et mesquin, en plus d’être odieux avec sa femme, il a laissé un souvenir impérissable à mes joueurs.

Parfois, l’inspiration vient de plus loin. Sérantès, par exemple, officier des troupes d’occupation, peu zèlé et surtout soucieux d’assurer sa mission sans faire de vagues, n’est autre qu’une réminiscence d’une anecdote familiale : pendant la seconde guerre mondiale dans les Vosges, mes grands-parents avaient été réquisitionnés pour héberger un groupe d’officiers allemands cantonnés dans leur ville. Ces hommes, réservistes quadragénaires et chargés de famille au pays, n’avaient rien de commun avec les nazis et se sont montrés particulièrement corrects avec leurs hôtes (bien au delà de l’attitude à laquelle on aurait pu s’attendre dans une occupation militaire), l’un d’eux étant même revenu après-guerre saluer mes grands-parents et leur présenter son épouse. Il y a ce genre d’homme dans toutes les guerres et d’une certaine manière, je rend hommage à ce qu’ils représentent.

Je m’efforce toujours, en tant que créatrice de l’univers dans lequel mes joueurs et leurs personnages évoluent, d’imaginer en arrière-plan la vie, les pensées et le quotidien de mes PNJ. J’aime penser à ces personnages secondaires comme ayant une vie propre à l’arrière-plan des aventures de mes personnages joueurs.

RuneQuest, HeroQuest et Glorantha sont des marques déposées de Moon Design Publications et Chaosium, et de Studio Deadcrows pour la version française.

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